Post-chrétienté ?

Une indication d’une idée étant entrée dans le courant dominant culturel est lorsqu’elle apparaît dans Le NEW YORK Times. Dans un « Essai invité » (ce qu’on appelait autrefois un « éditorial ») dans Le NEW YORK Times en ligne le 29 décembre (puis dans l’édition imprimée du 3 janvier), l’écrivain d’opinion Christopher Caldwell a contribué à  » L’Occident Redevient-Il Païen ? » examiné la thèse de la philosophe et auteure catholique française Chantel Delsol, dans son livre de 2021 La fin de la Chrétienté, que la transition culturelle actuelle représente ce qu’elle appelle une « inversion normative », inversant l' »inversion normative » du quatrième siècle du paganisme romain au christianisme. Je n’ai pas lu le livre de Delsol, mais j’ai trouvé un article récent en anglais de sa part en ligne, intitulé « La fin du christianisme », qui semble résumer son argument. 

[Son article peut être consulté à l’adresse suivante:: https://www.hungarianconservative.com/articles/culture-society/the-end-of-christianity /]

Si je comprends bien, Delsol ne prétend pas que le christianisme, en soi, en tant que foi religieuse, se termine mais ce que nous appelons communément la « chrétienté », ce que Caldwell appelle la « civilisation chrétienne. »Cette réalité est née du remplacement du paganisme romain par le christianisme au fourth siècle et se bat pour sa survie depuis le 18ème siècle. Selon Delsol, les révolutions hollandaise, britannique et américaine  » ont installé des régimes stables et créé des sociétés où la politique et la religion se soutenaient mutuellement. »La Révolution française, cependant, « a conduit à une guerre perpétuelle entre l’Église et l’État », conduisant à des « excès sinistres » du côté de l’État, tandis que de l’autre côté, « réduite au statut d’ennemi public et perpétuellement en révolte contre les nouvelles lois et coutumes », l’Église a « lentement dépéri. »  

Il n’y a évidemment rien de nouveau dans cette analyse. Ce qui est intéressant, c’est son point de vue selon lequel le 21e siècle n’est pas moins religieux pour ne plus être chrétien.  » D’autres religions se sont emparées de la scène. » En effet, elle insiste sur le fait que  » tant que l’humanité sera imparfaite et mortelle (donc jusqu’à la fin des temps, sans doute malgré les fabrications du post-humanisme), elle se donnera des religions, de la sagesse et de la morale. Seule la rationalisation extrême et éphémère des Lumières, détachée de la réalité, pouvait croire en l’avenir de l’athéisme. »De plus, »dès que le christianisme est tombé, toutes sortes d’autres dieux ont pris sa place. » 

Cela aussi n’est pas nécessairement une notion nouvelle. On se souvient du commentaire de Chesterton: « Quand les gens cessent de croire en Dieu, ils ne croient en rien, ils croient en tout.”

Ce qui se passe maintenant, suggère-t-elle, est un changement de paradigme analogue à ce qui s’est passé au quatrième siècle, lorsque le christianisme a remplacé le paganisme romain, un renversement complet à la fois philosophique et moral. Depuis le 18ème siècle, le paradigme dominant change à nouveau. « Le présent raconte l’histoire du retour du grand Pan – nous avons bouclé la boucle. »À titre d’exemple, elle utilise la pratique du divorce, « rapide et facile » dans la Rome païenne jusqu’à ce qu’elle soit interdite par les empereurs chrétiens. La Révolution légalise le divorce en France en 1792. La Restauration l’a révoqué en 1816, mais le divorce a été rétabli en 1884. Vichy a restreint le divorce en 1941, mais dans la France d’après-guerre, les lois sur le divorce sont devenues progressivement plus laxistes jusqu’à ressembler au régime de divorce par consentement mutuel de la Rome païenne pré-chrétienne.  » La chrétienté se défend et mobilise toute son ardeur pour maintenir le pouvoir législatif et pénal de ses mœurs. Pourtant quoi qu’il arrive et malgré quelques succès épisodiques, la marée monte depuis deux siècles, toujours dans la même direction, et ne s’arrête jamais. »

Pendant ce temps, « les courants qui défendent les mœurs anciennes, bien que soutenus par de nombreux électeurs, ont du mal à trouver des représentants ou plutôt à ne trouver que des représentants extrémistes, comme Donald Trump. Le destin d’un courant condamné par l’histoire est de devenir de plus en plus extrémiste, de perdre ses défenseurs les plus compétents, et finalement, par une sorte de processus désastreux, de finir par ressembler à la description de ses adversaires. »

Cette dernière observation, évidemment si pertinente pour la situation religieuse aux États-Unis, met en évidence le danger pour la religion chrétienne elle-même chaque fois que la religion aspire à faire avancer ses intérêts imaginés par une alliance avec le pouvoir politique laïc. 

Contre cela, Delsol suggère un christianisme qui abandonne  » le règne de la force  » en inventant  » un autre mode d’être que celui de l’hégémonie « , dans lequel la mission n’est plus  » synonyme de conquête « . »