La Beauté de la Liturgie: La Lettre apostolique du Pape


Une observation courante à propos du pape François, en particulier dans les premières années de son pontificat, était qu’il semblait relativement désintéressé des questions liturgiques (surtout par rapport à son prédécesseur), une caractéristique parfois attribuée (à juste titre ou injustement) à son être jésuite! Quelle que soit la vérité qu’il ait pu y avoir dans ces interprétations antérieures, ces dernières années, il a apparemment surcompensé, exprimant un intérêt renouvelé, en particulier pour la promotion de l’uniformité du Rite romain dans sa forme post-conciliaire, ce que le Pape considère vraisemblablement comme faisant partie intégrante du projet post-conciliaire plus large. Sa dernière incursion dans le terrain souvent controversé de la liturgie romaine a eu lieu cette semaine à l’occasion hautement symbolique de la célébration annuelle des fondateurs apostoliques de Rome, les Saints Pierre et Paul. En ce jour particulièrement solennel, le Pape François a publié une Lettre apostolique Desiderio Desideravi « Sur la Formation liturgique du Peuple de Dieu. »

D’emblée, le Pape François précise à la fois que la liturgie est « fondamentale pour la vie de l’Église » et que, plutôt qu’un traitement exhaustif du sujet, son but est « d’aider à la contemplation de la beauté et de la vérité de la célébration chrétienne » [DD,1]. La lettre commence par une méditation sur la Cène et la Liturgie comme lieu de rencontre avec le Christ. Il souligne en particulier que, bien que le monde ne le sache peut-être pas, « tout le monde est invité » à la fête, qui ne nécessite que « le vêtement de mariage de la foi qui vient de l’audition de sa Parole. » 

Cela s’avère être un argument explicite en faveur de l’évangélisation. Référencement explicite Evangelii gaudium, il prévient: « Nous ne devons pas nous permettre même un moment de repos, sachant que tout le monde n’a pas encore reçu d’invitation à ce souper ou sachant que d’autres l’ont oublié ou se sont perdus en chemin dans les méandres de la vie humaine » [DD, 5]. Plus tard, il ajoute: « Une célébration qui n’évangélise pas n’est pas authentique, tout comme une annonce qui ne conduit pas à une rencontre avec le Seigneur ressuscité dans la célébration n’est pas authentique. Et puis, les deux, sans le témoignage de la charité, sont comme sonner un gong bruyant ou une cymbale qui sonne. (1 Corinthiens 13:1) » [DD, 37].

Pour François, la liturgie garantit la possibilité de la rencontre avec le Christ ressuscité: « s’il ne nous était pas donné aussi la possibilité d’une vraie rencontre avec Lui, ce serait déclarer que la nouveauté du Verbe fait chair a été entièrement épuisée. Au contraire, l’Incarnation, en plus d’être le seul événement toujours nouveau que l’histoire connaisse, est aussi la méthode même que la Sainte Trinité a choisie pour nous ouvrir le chemin de la communion. La foi chrétienne est soit une rencontre vivante avec Lui, soit elle n’existe pas » [DD, 10].

Après avoir jeté les bases, le pape François se tourne vers le territoire plus controversé du renouveau moderne de la liturgie, qu’il interprète en termes de « la redécouverte d’une compréhension théologique de la Liturgie et de son importance dans la vie de l’Église » [DD, 16]. Il considère « la Liturgie dans son sens théologique » comme « l’antidote le plus efficace contre ces poisons », ces « formes déformées du christianisme », le gnosticisme et le néo-pélagianisme, contre lesquels il a souvent mis en garde [DD, 17-18]. Contre l’ivresse de ce dernier, il cite le Confiteor qui à « tle début de chaque célébration me rappelle qui je suis, me demandant de confesser mon péché et m’invitant à implorer la Bienheureuse Marie toujours vierge, les anges et les saints et tous mes frères et sœurs de prier pour moi le Seigneur notre Dieu » [DD, 20] Cependant, il ne fait aucune référence aux pratiques contraires (que la liturgie officielle elle-même soutient), qui remplacent largement ce salutaire Confiteor au début de nombreuses messes.

Les amoureux de la liturgie seront édifiés par la critique de François d’une « attitude, qui confond la simplicité avec une banalité insouciante, ou l’essentiel avec une superficialité ignorante, ou le concret de l’action rituelle avec un fonctionnalisme pratique exaspérant. »Le Pape insiste « chaque aspect de la célébration doit être soigné avec soin (espace, temps, gestes, mots, objets, vêtements, chant, musique…) et chaque rubrique doit être observée. Une telle attention suffirait à empêcher de voler à l’assemblée ce qui lui est dû, à savoir le mystère pascal célébré selon le rituel que l’Église établit » [DD, 22-23]. 

Il est évidemment bien conscient des abus et diagnostique leur cause première. « En visitant les communautés chrétiennes, j’ai remarqué que leur façon de vivre la célébration liturgique est conditionnée — pour le meilleur ou, malheureusement, pour le pire — par la manière dont leur pasteur préside l’assemblée. On pourrait dire qu’il existe différents « modèles » de présidence. Voici une liste possible d’approches qui, bien qu’opposées les unes aux autres, caractérisent une manière de présider certainement inadéquate: une austérité rigide ou une créativité exaspérante, un mysticisme spiritualisant ou un fonctionnalisme pratique, une vivacité précipitée ou une lenteur surestimée, une insouciance bâclée ou une finesse excessive, une amabilité surabondante ou une impassibilité sacerdotale. Compte tenu du large éventail de ces exemples, je pense que l’insuffisance de ces modèles de présidence a une racine commune: un personnalisme accru du style célébrant qui exprime parfois une manie mal dissimulée d’être le centre de l’attention. Cela devient souvent plus évident lorsque nos célébrations sont transmises par voie hertzienne ou en ligne, ce qui n’est pas toujours opportun et qui nécessite une réflexion plus approfondie » [DD, 54]. Au lendemain de la pandémie et de l’importance du streaming en direct qui en résulte, l’appel à la réflexion du Pape sur cette pratique acquiert évidemment une importance encore plus grande!

La principale préoccupation du Pape, cependant, n’est pas ces questions en elles-mêmes, mais la formation appropriée de toute l’Église à la liturgie. Ce qu’il appelle lui-même la question fondamentale,  » par conséquent, est la suivante: « comment retrouver la capacité de vivre pleinement l’action liturgique? Tel était l’objectif de la réforme du Conseil. Le défi est extrêmement exigeant parce que les personnes modernes — pas dans toutes les cultures au même degré-ont perdu la capacité de s’engager dans l’action symbolique, qui est un trait essentiel de l’acte liturgique » [DD, 27]. C’est dans le contexte de cette problématique contemporaine que le Pape situe la réforme conciliaire (et le mouvement liturgique qui y a conduit). 

Tant « la non-acceptation de la réforme liturgique » que ce que le Pape appelle « une compréhension superficielle de celle-ci » sont des distractions « de l’obligation de trouver des réponses à la question que je reviens à répéter: comment pouvons-nous grandir dans notre capacité à vivre pleinement l’action liturgique? Comment continuons-nous à nous laisser émerveiller par ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux? Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et dynamique » [JJ, 31].

Tout en n’ignorant pas la formation liturgique au sens typique de ce terme -« Un plan liturgique-sapientiel d’études dans la formation théologique des séminaires aurait certainement des effets positifs dans l’action pastorale » [DD, 37] – l’accent reste relationnel. « Seule l’action de l’Esprit peut mener à terme notre connaissance du mystère de Dieu, car le mystère de Dieu n’est pas une question de quelque chose de saisi mentalement, mais une relation qui touche toute la vie. Une telle expérience est fondamentale pour que, une fois les séminaristes ordonnés ministres, ils puissent accompagner les communautés sur le même chemin de connaissance du mystère de Dieu, qui est le mystère de l’amour » [DD, 39].

De manière assez éloquente, le Pape proclame clairement que « la connaissance du mystère du Christ, question décisive pour notre vie, ne consiste pas dans une assimilation mentale d’une idée quelconque, mais dans un engagement existentiel réel avec sa personne. »Ainsi, le « La liturgie est une louange, une action de grâces pour la Pâque du Fils dont la puissance atteint nos vies. La célébration concerne la réalité de notre docilité à l’action de l’Esprit qui opère à traversgh jusqu’à ce que Christ soit formé en nous. (Cf. Galates 4:19). La pleine mesure de notre formation est notre conformation au Christ. Je le répète: cela n’a pas à voir avec un processus mental abstrait, mais avec le fait de devenir Lui. C’est le but pour lequel l’Esprit est donné, dont l’action est toujours et seulement de confecter le Corps du Christ » [DD, 41].

Le pape François aborde également « l’importance absolue » du silence, comme « un symbole de la présence et de l’action de l’Esprit Saint qui anime toute l’action de la célébration » [JJ, 52]. Il écrit sur les gestes liturgiques, par exemple s’agenouiller [DD, 53], et met en évidence le rôle unique du prêtre, dont le rôle « n’est pas principalement un devoir qui lui est assigné par la communauté, mais plutôt une conséquence de l’effusion de l’Esprit Saint reçue dans l’ordination qui l’équipe pour une telle tâche. Le prêtre est également formé par sa présidence dans l’assemblée célébrante. »[JJ,56]. Ainsi, « il est d’une importance fondamentale que le prêtre ait une conscience aiguë d’être, par la miséricorde de Dieu, une présence particulière du Seigneur ressuscité » [DD, 57]. En tant que prêtre, je ne pouvais que trouver les réflexions du Pape sur la présidence sacerdotale [DD, 59-60] particulièrement émouvantes – et stimulantes.

Le Pape conclut par un autre appel à rétablir l’unité du Rite romain [DD, 61] et « pour redécouvrir le sens de la année liturgique et de le Jour du Seigneur » [JJ, 63]. Ici, cependant, il aurait peut-être été utile pour lui d’aborder les changements culturels dramatiques survenus depuis le Concile et la quasi-disparition du Jour du Seigneur de notre société moderne qui en a résulté. 

Enfin, François nous appelle à « abandonnez nos polémiques pour écouter ensemble ce que l’Esprit dit à l’Église. Sauvegardons notre communion. Continuons à nous étonner de la beauté de la Liturgie. Le Mystère pascal nous a été donné. Laissons-nous embrasser par le désir que le Seigneur continue d’avoir de manger Sa Pâque avec nous. Tout cela sous le regard de Marie, Mère de l’Église » [DD, 65].

Malgré le plaidoyer du Pape, les polémiques sur la liturgie (et presque tout le reste) continueront. Dans la mesure où la polarisation liturgique dans l’Église est un sous-ensemble de la polarisation sociale plus large, on peut probablement faire peu de choses à ce sujet. D’autre part, une étude sincère de la lettre du Pape, associée à une ouverture honnête de toutes parts pour remédier aux lacunes reconnues de notre expérience liturgique contemporaine, pourrait bien contribuer à remettre la liturgie à sa juste place en tant qu’expérience d’unité plutôt que de division.

Photo: Le Pape François salue la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, dans la basilique Saint-Pierre avant de célébrer la Messe pour la solennité des SS. Pierre et Paul, Rome, le 29 juin 2022, le jour même où il a publié sa « Lettre apostolique sur la Formation liturgique du Peuple de Dieu », Desiderio Desideravi.