Mieux comprendre


Lorsque saint Jean Vianney (1786-1889), le fameux « Curé d’Ars » et patron des curés (que l’Église commémore aujourd’hui en cet anniversaire de sa mort) fut envoyé à la lointaine Ars (230 habitants) comme pasteur en 1817, hl’évêque l’a averti : » Il y a peu d’amour de Dieu dans cette paroisse. »Comme curé d’Ars, Saint Jean Vianney (photo) il a consacré le reste de sa vie à essayer de remédier à cette description dévastatrice. Toujours conscient de ses propres insuffisances, mais s’identifiant totalement à sa vocation sacerdotale et consacrant ses journées aux personnes confiées à ses soins, il instruisit ses paroissiens par le témoignage personnel de sa vie. « Il n’y a pas deux façons de servir Dieu », a-t-il expliqué. « Il n’y en a qu’un: le servir comme il désire être servi. » Célébrant la Messe, il aurait  » regardé l’Hostie avec un immense amour. »Il croyait que la ferveur d’un prêtre dépendait de la Messe. « Mon Dieu », a-t-il dit, « comme nous devrions avoir pitié d’un prêtre qui célèbre comme s’il était engagé dans quelque chose de routinier. »Par son exemple, il a aidé ses paroissiens à prier. « Il n’est pas nécessaire de dire grand-chose pour bien prier », leur a-t-il dit. « Nous savons que Jésus est là dans le tabernacle: ouvrons nos cœurs à lui, réjouissons-nous de sa présence sacrée. c’est la meilleure prière. »
La description dévastatrice d’Ars par l’évêque était une accusation contre les paroissiens, bien sûr, mais encore plus des temps qu’ils venaient de vivre – la Révolution française et ses conséquences, une révolution inspirée par une haine intense pour l’Église, comme l’Europe n’en avait pas vu depuis le pire des empereurs romains. Des églises avaient été profanées et détruites. De nombreux évêques, prêtres et religieux avaient été massacrés. Jean Vianney lui-même avait reçu sa Première communion en secret, la célébration publique de la Messe par des prêtres fidèles à l’Église étant illégale. Tout cela avait fait des ravages, amplifiant intensément la froideur et l’indifférence routinières reconnaissables de tant de personnes envers la religion, même en des temps supposément plus religieux. En effet, peut-être moins consciemment de la part de l’évêque, c’était peut-être aussi un acte d’accusation des échecs de l’Église dans la période décisive précédant la révolution. 
Reconstruire la vie communautaire et liturgique de l’Église dans la France post-révolutionnaire du XIXe siècle a été un grand défi, auquel beaucoup-comme saint Jean Vianney – ont répondu avec beaucoup de dévotion et d’héroïsme. Même ainsi, lorsque la conscription de la Première Guerre mondiale a amené de jeunes prêtres jésuites du XXe siècle comme Henri de Lubac et Gaston Fessard à rencontrer l’incrédulité généralisée d’une classe de Français qu’ils n’avaient jamais rencontrés personnellement auparavant, cela leur a ouvert les yeux, a rappelé Fessard, « et quand la guerre a pris fin, il y avait parmi nous des Jésuites qui ont résolu que nous ne nous laisserions plus jamais couper du monde réel dans lequel nous vivions. … Comment pourrions-nous être des témoins de l’Évangile pour les hommes de notre temps si nous ne connaissions pas ces temps et ces hommes? »(À ce sujet, voir  Sarah Shortall, Soldats de Dieu dans un Monde Séculier: Théologie catholique et Politique française du XXe siècle, Harvard U. Pr., 2021, pp. 34-35.) La Seconde Guerre mondiale produirait un réveil analogue, reflété, par exemple, dans la fondation de la célèbre Mission de France et le mouvement des » prêtres-ouvriers  » et dans la publication de Henri Godin, La France pays de mission? (traduit plus tard en anglais comme La France païenne?), un livre qui aurait fait pleurer le cardinal Suhard de Paris en le lisant.
Le défi d’aujourd’hui continue donc d’être ce qu’il était pour Saint John Vianney – ré-évangéliser une société, dans laquelle il y a « petit amour de Dieu, » société qui, bien qu’une fois au moins nominalement engagé dans la foi chrétienne, l’a largement perdu. Bien sûr, contrairement aux fantasmes intégristes, les changements sociaux, culturels et politiques des dernières décennies sont, en grande partie, ici pour rester, surtout en ce qui concerne leurs conséquences – tout comme les conséquences de la Révolution française ont continué à transformer la société française bien après Robespierre et même sous les Bourbons restaurés et au-delà. Toute « évangélisation » contemporaine nécessite certainement une analyse sérieuse et une confrontation avec les forces sécularisantes qui ont été renforcées par les changements des dernières décennies.  Mais cela nécessite également une analyse et une confrontation d’un sérieux comparable avec ce qui manquait auparavant, un manque qui n’a pas préparé l’Église aux assauts si imminents. Comme l’a dit le pape Saint Jean XXIII à peine 10 jours avant sa mort: Ce n’est pas que l’Évangile change, mais que nous commençons à mieux le comprendre.